jeudi 3 octobre 2013

Une minute d'écart, ça peut se transformer en années de placard


Le Quai d'Orsay serait-il devenu le ministère des Affaires étranges ? Cela vous a peut-être échappé, mais la diplomatie française vit de grandes heures. Non, je ne vous parle pas de la Syrie. (Suite du précédent papier.)

Quelques jours après les mésaventures de notre ancien ambassadeur, il s'est produit un autre "incident", passé inaperçu. Pourtant, l'affaire n'est pas commune.

 



Le 3 septembre, un employé français du consulat de France à Jérusalem se présente à la frontière israélienne entre la Cisjordanie et la Jordanie, au pont Allenby ou King Hussein bridge. Oui, je précise les deux noms à dessein pour ne fâcher personne. C’est comme le golfe : parfois, il est persique, parfois il est arabique, mais visiblement, ce n'est pas anodin. Si vous ne voulez pas avoir d'ennuis, dites donc arabo-persique. A défaut de flatter le Perse ou l'Arabe, au moins éviterez-vous l'impair complet et ferez-vous finement comprendre que vous n'êtes pas tout à fait ignorant des spécificités de la région. Vous me direz qu’en Normalie, il est d’usage de confondre le père et le fils, le Chinois et le Japonais, le Tunisien et l’Egyptien. Même s’il est vrai que je ne suis ni président de la République ni diplomate, j’avoue que la subtilité de la chose m’échappe encore. Enfin, ce n’est que mon avis mais je le partage.

Toujours est-il que ce fameux jour de septembre, l’employé français en question est contrôlé par les douaniers israéliens. "Intrigués par une forte odeur de tabac" (sic) émanant de sa voiture, ceux-ci décident de pousser leurs investigations plus avant et découvrent… my dog, c’est que le butin est impressionnant :
152 kg d’or, des chèques pour une valeur de près de 2 millions de dollars, 800 téléphones cellulaires et 500 kg de tabac. 

Le tout étant dissimulé dans un véhicule portant des plaques diplomatiques françaises, on imagine les conversations téléphoniques certainement courtoises mais sans doute non dénuées d’une certaine franchise entre Jérusalem et Paris. L'homme, chef de garage au consulat, est immédiatement arrêté puis expulsé vers la France.
Il paraît qu'il s'agit d'une « affaire crapuleuse », dixit le Quai d’Orsay. Les gens sont méchants. J'aurais imaginé que c'était un don en nature pour l'Association des Enfants de Milliardaires Nécessiteux. Que voulez-vous ma bonne dame, c'est la crise pour tout le monde !






Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Donc, récapitulons.
Un brave homme à qui la République a offert le gîte et le couvert moyennant ses talents de mécanicien se trouve n’être en réalité qu’un malfaisant qui abuse sa confiance. Nouant au fil du temps des relations aussi douteuses que fructueuses dans un paisible pays muni d’une police particulièrement débonnaire et dilettante, il accumule la bagatelle de 152 kg d’or. Premier constat : il n’était pas manchot le garçon, parce qu’une conversion rapide nous donne environ 6 450 000 $ que nous arrondirons (pondération des taux de change, et puis on ne sait pas si l’or était en lingot, lingotins ou en vieilles statuettes un peu râpées) à 5 millions d’euros.

N’oublions pas d’ajouter les 2 millions de dollars (1,5 millions d’euros) en chèques que des trafiquants particulièrement perspicaces lui ont également remis. Tout de même, pour un truand d’envergure international, ça laisse rêveur, mais n’ergotons pas. Notre homme a-t-il seulement pris soin de noter les numéros de passeport au dos, des fois que des malhonnêtes auraient signé des chèques en bois ? L’histoire ne le dit pas, mais peut-être que dans quelques années, on aura droit à une troisième affaire Clearstream avec des listings circulant sous le manteau et de folles rumeurs sur les noms des bénéficiaires des fameux chèques…

Nous en sommes déjà à 6,5 millions d’euros. Vient la question du tabac. Là, c’est plus difficile de donner une valeur. Et on ne peut pas non plus se rattraper avec les téléphones portables : entre un Bic et un iPhone, c’est pas pareil. Mais enfin tout de même, il n’est pas déraisonnable de penser que tout ça nous emmène vers les 7 millions d’euros. Bref, ça fait une petite fortune. Et puis surtout, ça prend de la place. Qu’à cela ne tienne, quand on est mécano, on a pas peur de bricoler.
 

(photo non contractuelle)

Et alors la marmotte, elle met le chocolat dans le papier d’alu. Mais bien sûr.
Voilà donc notre homme qui prend la route de bonne heure, tout à la joie de s’en aller dans le calme de la campagne jordanienne mûrir des projets de nouveaux investissements. Et puis, il doit aussi donner quelques coups de téléphones avant de rejoindre le défilé de Sîq-el-Bared (ben oui, parce qu’on capte pas dans un défilé). Là, en fin de journée, à l’heure à laquelle rôdent les chacaux, il va rencontrer l’Al Capone local pour échanger la marchandise, faire les comptes et parler business en fumant plein de clopes.
Hélas pour lui, les gabelous hébreux sont de mauvais poil et, ne partageant pas l’habituelle insouciance de leurs confrères des services de sécurité – ah oui, ils sont « intrigués par une forte odeur du tabac », ne l’oublions pas – ils font pour une fois leur travail ce qui met un terme à l’aventure.

Comment est votre blanquette ?
L’histoire s’arrête là, et plus rien ne filtre depuis, si ce n’est que Français et Israéliens sont bien contents d’avoir mis à jour un « réseau de contrebande internationale très organisé ».
D’ailleurs, le Quai a signifié à l’indélicat son licenciement dès son retour en France et une enquête préliminaire a été ouverte. Nanméo ! Faut pas pousser mémé dans les orties non plus. Ceci dit, la République est grande et généreuse et n’a pas jeté le bonhomme en détention provisoire. Ben non, pour quoi faire ? Après tout, ce n’est jamais qu’un trafiquant international qui se promenait avec de l’or, du tabac, des chèques, plein de téléphones (ah oui, il y avait aussi des pièces détachées de voiture !) pour une valeur approximative de 7 millions d’euros. Du menu fretin, donc. (Pas comme ce salaud de jeune qu’on a collé au trou en attendant son jugement parce qu’il faisait rien que de manifester à des heures indues. Je me comprends.)

Tout ceci n’a évidemment rien à voir avec les événements régionaux. Il est bien connu que les turbulents esthètes barbus qui affrontent les poètes éthérés du régime syrien n’ont besoin de rien ni de personne comme ils le répètent du matin au soir, que le président français n’est pas concerné par le sujet et que d’ailleurs, cessons de raconter n’importe quoi, la Jordanie, c’est bien loin la Syrie.

 


Ça me rassure, parce que l’espace d’un instant, j’ai bien cru que l’aspirant Gaspard, tout à sa joie d’expérimenter l’un de ses déguisements désastreux avait encore fait foirer une mission de notre estimé SNIF.



3 commentaires:

  1. Choupette n aurait pas laissé faire ça...

    RépondreSupprimer
  2. Il y a un petit côté "Corniaud". Le Yukunkun étant remplaçé par des téléphones portables. Ca fait moins rêver mais il faut, parait-il vivre, avec son temps.
    Moi qui faisait il ya peu encore profession de garagiste dilettante, je dis chapeau au gars de l'ambassade !
    Hervé Fardas.

    RépondreSupprimer
  3. Mais où c'est ki va chercher touça…
    Sauf allusions qu'une personagée ne peut saisir, j'ai bien ri. Or ces temps le rire se fait rare.
    Donc merci Gaston !

    RépondreSupprimer